Conte solitaire d’un piano sans frontière

Le Piano Oriental

Cette belle histoire - contée en bande dessinée par la Libanaise Zeina Abirached et dont le graphisme rappelle beaucoup celui de l’Iranienne Marjane Satrapi - commence avec celle, singulière, de son arrière-grand-père Abdallah Kamanja.

Cette belle histoire - contée en bande dessinée par la Libanaise Zeina Abirached et dont le graphisme rappelle beaucoup celui de l’Iranienne Marjane Satrapi - commence avec celle, singulière, de son arrière-grand-père Abdallah Kamanja.

Pianocktail

Dans le Beyrouth des années 1960, ce pianiste passionné s’échappe de son travail pour pouvoir jouer. Peu à peu, il nourrit l’idée de réaliser des mélodies en quarts de tons sur un piano, cherchant à y fusionner deux cultures : l’Orient et l’Occident.

Par un ingénieux dispositif actionné par la pédale, le piano passe du système en demi-tons à celui en quarts de tons. Ce résultat de dix ans de recherches est couronné par l’intérêt du fabriquant autrichien Hofmann. Ce dernier promet la construction du fameux piano si le carnet de commandes comprend au moins cent demandes. Malheureusement, les commandes ne seront jamais assez nombreuses, et cet instrument restera unique.

Mikados

L’intérêt de l’aventure ne s’arrête pas là : Zeina Abirached pose en miroir sa propre histoire. À huit ans, elle était également francophone ; les allers-retours fréquents entre sa langue maternelle et le français lui posaient parfois des difficultés de prononciation et nourrissaient son imaginaire de deux manières différentes.

Lorsqu’elle a découvert Beyrouth ouest, elle s’est sentie dans un pays étranger, comme si elle n’était chez elle dans aucune langue : « je tricote depuis l’enfance une langue faite de deux fils fragiles et précieux. »

Quand, en 2004, elle quitte le Liban pour Paris, les entrelacs, le maillage de ces deux langues perdure jusqu’à sa naturalisation française.

« En arrivant en France, il a fallu séparer les deux jeux de mikados, attraper délicatement chaque petit bâton sans détruire l’édifice. »

La mer à Paris

Zeina se détend seulement après sa naturalisation, se sentant dans la pleine acceptation de sa culture d’origine. Et la langue de son pays d’adoption s’est déliée, s’est colorée, a pris un relief particulier.

Ces deux histoires forment ainsi une magnifique réflexion, le piano devenant la métaphore de l’assimilation de deux cultures symbolisées par les langues.

Sur le plan esthétique, l’ouvrage est totalement pétri de musiques : des visions sonores (les chaussures de son aïeul), des dessins très rythmiques et un contrepoint graphique très inspirant dans son foisonnement.

Pour finir, si vous souhaitez comprendre parfaitement ce qu’est ce piano oriental, en voici sa définition la plus poétique : « Être un piano oriental, c’est ouvrir une fenêtre à Paris et s’attendre à voir la mer. »

Le Piano oriental, Zeina Abirached (Prix Phénix de littérature 2015), Casterman, 22 €.

— Laurianne Corneille

Le 3 Mai 2016 par Laurianne Corneille

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